vendredi 24 novembre 2017
« Des pierres dans ma poche »
Kaouther Adimi
éditions du seuil
Kaouther Adimi
Jeune auteure algérienne de la génération des années noires (1), Kaouther Adimi vit à Paris depuis 2009. Après L'envers des autres qui, sous son titre original Les ballerines de papicha reçut en 2011 le Prix de la Vocation, elle revient avec un second roman d'inspiration en partie autobiographique, Des pierres dans ma poche, dont l'héroïne tiraillée entre deux rives, entre deux «chez soi», nous conte son histoire : «l'histoire d'une barre médiane qui n'arrive pas à trouver une autre barre à laquelle s'accrocher en toute confiance». L'histoire d'une jeune femme moderne entre deux mondes : entre Alger et Paris, la ville de son enfance et celle de sa vie adulte. Une situation inconfortable que rend plus difficile encore l'impossibilité du partage de son vécu de part et d'autre.
Des pierres dans ma poche
Éditions du seuil
L'héroine est une jeune célibataire bientôt trentenaire qui, ayant eu la force de quitter l'Algérie quatre ans auparavant, s'est installée dans cette «ville lumière» éblouissante où elle a réussi professionnellement comme «chercheuse d'images» dans une maison d'édition pour la jeunesse - ce qui lui permet de louer un petit logement dans un quartier animé qu'elle apprécie. Cette indépendance fièrement conquise et à laquelle elle tient plus que tout comporte néanmoins son coût de solitude, au point d'acheter un olivier mais pas assez quand même «pour adopter un animal» !
L'intrigue démarre quand la narratrice reçoit un coup de téléphone de sa mère lui annonçant les fiançailles précoces de sa petite soeur le mois suivant – événement auquel elle ne peut manquer d'assister. Son univers semble alors s'écrouler tant ce retour la panique : comment affronter tous ces regards prévisibles sur l'exilée «traitre à la patrie», et plus encore sur la femme sans mari ? Car à Alger, «les féministes, les carriéristes, les belles, les riches, presque toutes ont abandonné la cause», et «même les orphelines pataugent dans le célibat à la recherche d'un anneau». Certes elle a Paris, mais «aucune vraie femme ne préfèrerait la pollution d'une grande ville aux bras d'un homme».
Et durant tout ce mois d'angoisse précédant l'échéance festive, c'est son propre regard qu'elle affronte, s'interrogeant sur son statut, sur sa féminité, sur la place qu'elle désire occuper dans ce monde. Une interrogation identitaire, existentielle, qui s'élargit à son pays natal. Et le violent contexte politique dans lequel a grandi la narratrice vient exacerber une méditation plus globale sur le vieillissement et le passage du temps, sur le poids du réel et le poids de l'enfance.
Emmanuelle Caminade
Nos richesses
Éditions du seuil
La jeune romancière Kaouther Adimi a reçu le 14 novembre 2017 le prix Renaudot des lycéens pour Nos richesses (Seuil). Ce prix est organisé par l'association des Amis de Théophraste Renaudot de Loudun (Vienne), le lauréat est désigné par des lycéens issus de 14 lycées des académies de Poitiers, Limoges et Nantes.
C'est une récompense amplement méritée pour Kaouther Adimi, qui figurait sur la liste des grands prix d'automne, dont le Goncourt et le Renaudot.
Nos richesses est un superbe hommage au libraire-éditeur-bibliothécaire-galeriste-découvreur de talents, l'Algérois Edmond Charlot. Il navigue entre le passé et le présent. En 1935, Edmond Charlot, 20 ans, ouvre une librairie à Alger pour promouvoir de jeunes écrivains de la Méditerranée sans distinction de langue ou de religion. En 2017, Ryad, 20 ans, étudiant à Paris, n'éprouve qu'indifférence pour la littérature. De passage à Alger, il doit vider de ses livres un local, tâche compliquée par la surveillance du vieil Abdallah, sorte du gardien du temple.
La romancière alterne les scènes entre l'Alger d'aujourd'hui et celui des années 1930. On croise Albert Camus, Jules Roy (que Charlot a été le premier a publiés), Henri Bosco, Max-Pol Fouchet, Emmanuel Roblès ou encore Kateb Yacine. Sur le fronton de la librairie Les vraies richesses était inscrit: «Un homme qui lit en vaut deux.» Une phrase inspirée par Jean Giono.
Ce livre est aussi le récit d'un homme déterminé à promouvoir des jeunes écrivains des deux côtés de la Méditerranée, sans distinction de langue ou de religion. La romancière en parlait remarquablement bien dans l'émission télé du Figaro Le Plein de culture.
Le talent de Kaouther Adimi qui n'a que trente-un ans est à nouveau reconnu. Il y a dix ans déjà, elle avait remporté le prix du jeune écrivain (PJE) - un concours de nouvelles lues sans que le jury connaisse le nom des auteurs. Le PJE a une réputation de pépinière de talents: il a révélé Marie Darrieussecq (Prix Médicis), Jean-Baptiste Del Amo (finaliste du Goncourt et Goncourt du premier roman), Florence Seyvos (Goncourt du premier roman), Arthur Dreyfus, Dominique Mainard, Yasmina Traboulsi, Miguel Bonnefoy, François-Henri Désérable…
En 2011, la jeune romancière, née à Alger et vivant à Paris, décrochait le prix de la Vocation. Ses textes sont souvent publiés dans son pays natal par Barzakh, la maison d'édition de Kamel Daoud.