vendredi 16 Mars 2007
Autour de « Ravel »
de Jean échenoz
présenté par
François Bégaudeau
(éditions de Minuit)
Jean Echenoz est né à Orange en 1947.
Il a d'abord poursuivi ses études dans les villes de Rodez, Digne-les-Bains, Lyon, Aix-en-Provence, Marseille et Paris, où il s'est installé en 1970.
Il a publié son premier livre en 1979. Il a publié de nombreux romans et reçu une dizaine de prix littéraires, dont le prix Médicis 1983 pour Cherokee et le prix Goncourt 1999 pour Je m'en vais.
Son dernier roman «Ravel» a été publié en janvier 2006 aux éditions de Minuit comme tous ses romans.
« RAVEL »
Première phrase du roman :
« On s’en veut quelquefois de sortir de son bain. » (lire à haute voix et compter les syllabes)
Dernière phrase du roman :
« Il se rendort, il meurt dix jours après, on revêt son corps d’un habit noir, gilet blanc, col dur à coins cassés, nœud papillon blanc, gants clairs, il ne laisse pas de testament, aucune image filmée, pas le moindre enregistrement de sa voix. »
Entre les deux, Echenoz crée un personnage : Ravel , « regard noir, vif, inquiet, sourcils fournis, cheveux plaqués en arrière et dégageant un front haut, lèvres minces, oreilles décollées sans lobes, teint mat. » un Ravel qui « à cinquante deux ans est au sommet de sa gloire » .
A ce moment du livre, le lecteur a dix ans de Ravel devant lui.
Mais, ne nous y trompons pas, ce n’est pas à parcourir une biographie classique que nous invite Echenoz.
Alors quoi ?
Si Echenoz raconte avec une grande justesse les dix dernières années du compositeur, le compositeur Ravel est envisagé comme un personnage de fiction.
Dans ce roman, la musique échenozienne fonctionne à la perfection.
Mais comment s’y prend-t-il, Echenoz, pour inventer ainsi «une phrase faite de vitesse, de plans rapprochés, et d’arrêt sur image» ?
Dire qu’Echenoz est un de nos plus grands écrivains, c’est une évidence, on l’a déjà dit, mais pourquoi ? Ça, c’est plus difficile ! Alors, je compte sur François Bégaudeau, pour tirer l’affaire au clair.
F.T.
Pourquoi François Bégaudeau ?
Parce que pour lui : «Ce livre contient tous les autres, puisqu'il en livre pour ainsi dire une clé en même temps qu'un précipité, puisqu'il formule un art poétique en même temps qu'il en donne une magistrale exécution, puisqu'on y trouve à peu près tout le répertoire stylistique de l'auteur ».
Voici l’approche qu’il nous a proposée : « Il y a une chose dont en littérature on ne parle jamais, une chose qui est pourtant sa matière première, la pâte dont elle faite. Je veux parler de la phrase. A qui revient la responsabilité de cette coupable occultation ? Aux journalistes, peut-être, davantage portés sur la thématique ; aux lecteurs, peut-être aussi, intimidés par une tâche qu’ils s’imaginent requérir certaines compétences techniques ; et puis aux écrivains, étonnamment mutiques quand il s’agit de ce à quoi ils ont pourtant principalement affaire lorsqu’ils sont là comme des idiots à tricoter des livres avec leurs petites mains. Sans doute faut-il voir dans ce silence, du reste, l’aveu de l’importance qu’ils accordent à cette unité stylistique. S’évoquant eux-mêmes sous les espèces d’usines à phrases, ils craindraient de dévoiler le cœur d’une affaire dont l’aura tient pour une grande part au mystère de sa fabrication.
Il en va donc des phrases comme des ragots. On ne saurait les aborder qu’en l’absence des intéressés. Jean Echenoz ne peut être des nôtres à Bollène ? Retournons en chance cette infortune : profitons-en pour parler de sa phrase.
Ca tombe bien, elle est, la phrase d’Echenoz, un joyau du genre. La disséquant, nous pouvons en tirer des trésors, comme on trouverait du pétrole en grattant la terre en quête de truffes. Prélevant du définitif Ravel quelques phrases ou grappes de, nous trouverons à coup sûr la clé de ce roman-manifeste, et, pour peu que la coterie du café extravertisse son talent, la clé de toute l’œuvre. »
Donc, pendant trois quart d’heure, François Bégaudeau a analysé la phrase d’Echenoz et démontré «comment à partir un fait de langue, on peut expliquer toute l’œuvre». (Voir ci-dessous quelques phrases ayant servi de base à cette analyse)
Puis, nous avons eu trois quart d’heure d’échange collectif sur ce que F.B. aura essayé de démontrer et sur le livre.
Et pus aussi parce que, juste un an avant, en mars 2006, à Bollène, François Bégaudeau, récemment primé par le prix France Culture- Télérama, pour son livre « Entre les murs », était le premier invité du « Café littéraire ».