vendredi 25 mai 2018
« Le courage qu'il faut aux rivières »
Emmanuelle Favier
éditions Albin Michel
Emmanuelle Favier
Emmanuelle Favier est née en 1980. Elle est l'auteure d’un recueil de nouvelles (Confession des genres, éditions Luce Wilquin, 2012) et de trois livres de poèmes (À chaque pas, une odeur, Librairie-Galerie-Racine, 2001 ; Dans l’éclat des feuilles vives, éditions de la Musaraigne, 2005 ; Le Point au soleil, Rhubarbe, 2012).
Ses textes apparaissent dans un grand nombre de revues, blogs ou anthologies en France, en Belgique ou au Canada, qu’il s’agisse de nouvelles (Brèves, Rue Saint-Ambroise, Harfang) ou de poèmes (Poésie 1, Arpa, Bacchanales, Lieux d’être, Multiples, Le Journal des poètes, L’Arbre à paroles, Sarrazine, Pas d’ici, pas d’ailleurs…). Sa poésie a été primée à deux reprises.
Elle est également auteure de théâtre et sa deuxième pièce, Laissons les cicatrices (inédit), a reçu le premier prix du concours d’écriture dramatique de la Manufacture des Abbesses en 2013. Elle a en outre publié plusieurs articles critiques (Alternatives théâtrales, Mediapart, Poésie 1, Cahiers de théâtre/Jeu, Altermed…) et a soutenu en 2006 une thèse sur les adaptations au théâtre de l’œuvre et de la vie de Rimbaud.
Elle a participé à de nombreux festivals littéraires (Printemps des poètes, Découvrir, Paris littéraire, Festival des jeunes étoiles…) et, de 2008 à 2015, a donné ses textes à entendre avec le guitariste Fabien Montes dans le cadre du duo « Proses électriques ».
Entre 2013 et 2015, elle a organisé et animé des rencontres littéraires, notamment à la Maison de la poésie à Paris.
Elle est correctrice-relectrice pour Mediapart depuis 2011.
Le courage qu'il faut aux rivières est son premier roman.
Le courage qu'il faut aux rivières
Éditions Albin Michel
Il se dégage de ce premier roman un mélange de force et de douceur qui interpelle, captive et finit par déposer une empreinte durable. Peut-être parce que l'auteure parvient à créer une atmosphère singulière, très réaliste tout en adoptant une forme narrative proche de celle du conte. Peut-être parce que le flou qui entoure le lieu et l'époque de l'intrigue contribue à lui donner un caractère universel.
Il faut se reporter à la quatrième de couverture pour apprendre que l'histoire se déroule dans un village des Balkans (nous n'en saurons pas plus). Ambiance rude d'un univers paysan et que l'on devine puritain. C'est là qu'a lieu la rencontre entre deux êtres aux destins contrariés. Manushe d'abord, une femme du village qui a renoncé à épouser le vieillard libidineux qui lui était destiné et est ainsi devenue une "vierge jurée". Par ce renoncement, elle a aussi dit adieu à ses attributs féminins et à toute autre possibilité de mariage et vit seule, condition sine qua non pour être admise et respectée par la communauté. Lorsque Adrian arrive au village, le jeune homme n'est pas indifférent à Manushe. Mais Adrian cache également un secret : il a été déclaré "garçon" à la naissance par un père lassé de voir sa femme ne produire que des filles...
La plume envoûtante d'Emmanuelle Favier est habile à conter l'histoire tragique et contrariée de Manushe et d'Adrian à la manière des troubadours d'antan. L'univers qu'elle décrit, les tourments et les aspirations de ses personnages nous touchent immédiatement. Car les thèmes qu'elle décline nous sont proches. Questionnement sur le genre, sur la féminité et sur ces lois décrétées par une société faite par et pour les hommes. Une société où dominent la cruauté et la violence sous le prétexte de virilité. Une société liberticide.
Le lecteur oscille entre conte et réalité, dans une ambiance typique de ces régions à forte représentation paysanne où la modernité affleure par morceaux dans quelques villes et accentue paradoxalement le contraste avec l'archaïsme qui règne dans ces endroits hors du temps. Mais la force et le courage de Manushe emportent le morceau. Sa quête du bonheur et sa détermination à passer outre les barrières de la prédestination et les injonctions du système patriarcal sont magnifiques. Et l'on ne peut qu'être ému aux larmes lorsqu'elle découvre que "gagner l'amour c'est aussi avoir désormais quelque chose à perdre".
Nicole Grundlinger Publié dans #Romans