vendredi 16 septembre 2011
Josée Kamoun
traductrice de
« La vie très privée de Mr Sim »
de Jonathan Coe
Éditions Gallimard
Jonathan Coe
Né en 1961 à Birmingham , Jonathan Coe a étudié à la King Edward's School à Birmingham et au Trinity College à Cambridge avant d'enseigner à l'Université de Warwick.
Il doit sa notoriété à son troisième roman, Testament à l'anglaise. Cette virulente satire de la société britannique des années du thatchérisme a connu un important succès auprès du public et a obtenu le prix Femina étranger en 1995.
Coe a également reçu le prix Médicis étranger en 1998 pour « La Maison du sommeil. »
En 2001 et 2004, le diptyque Bienvenue au Club (The Rotters' Club) suivi par Le Cercle fermé (The Closed Circle) traite des aventures d'un même groupe de personnes pendant leur dernière année de lycée dans le premier roman puis vingt ans plus tard dans le second. Ces deux romans servent l'auteur dans sa fresque du Royaume-Uni des années 1970 et 1990, pour mieux observer les mutations profondes qu'a subies la société entre ces deux dates, avec les réformes thatchéristes et blairistes.
« J’ai toujours pensé que nos destinées n’étaient pas choisies, mais qu’elles étaient déterminées par des forces sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle : la chance, la foi, les accidents, mais aussi l’histoire et la politique »
Jonathan Coe
« La vie très privée de Mr Sim »
Tout un homme, fait de tous les hommes, et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui : c’est l’art du roman et c’est Maxwell Sim, 48 ans, ancien VRP dépressif et homme abandonné qui n’a jamais lu Sartre même s’il a une sorte de nausée, mais à l’anglaise, en comique déballonné. Autour de lui, tout est sépia, précis et daté (sixties, seventies, eighties) : un roman de Jonathan Coe ressemble à une boutique d’objets manufacturés de seconde main, tout est vintage et plein de fantaisie. Le destin populaire des choses, en survivant aux hommes, révèle l’écrin dans lequel vivent les suivants.
Facebook. Max reprend la route pour vendre des brosses à dents au pays de son enfance. La brosse à dents, c’est la vie : on peut se passer de tout quand on voyage, sauf de ça. Et Maxwell Sim, justement, en est réduit à ça : je brosse mes souvenirs, donc je suis. Sa mère est morte il y a longtemps. Son père vit seul en Australie, il n’a rien transmis à son fils. Sa femme est partie, fatiguée du loser. Elle voudrait devenir écrivain, c’est une autre manière de manquer sa vie. Sa fille envoie et reçoit une trentaine de textos par jour. Max a 71 amis sur Facebook, aucun ne lui écrit quand il revient à Watford, sa ville triste, celle où est né Samuel Johnson. La voix de son GPS le séduit. Il la baptise Emma, en mémoire du roman de Jane Austen, un livre qu’il n’aime pas. C’est une voix sans humeur, sans frustration, qui ne l’engueule pas quand il se trompe : «Ne me demandez pas de vous la décrire. Vous commencez à vous douter que je suis pas doué pour ce genre d’exercice. […] C’était une voix qui vous disait que le monde tournait rond, le vôtre en tout cas.» Bref, la compagne idéale du raté.
Qu’est-ce-qu’un raté ? Un homme ordinaire qui tourne en rond dans un monde qui ne tourne pas rond. Maxwell passe son temps à expliquer qu’il est incapable de faire quoi que ce soit, en particulier de décrire ce qu’il voit, mais, comme il est aidé par Jonathan Coe, au moins ça, il finit par y arriver. Le meilleur sort possible, pour un raté, est de finir dans un roman réussi.
Philippe Lançon, Libération.