vendredi 15 novembre 2013
« Malentendus »
Bertrand Leclair
Éditions Acte Sud
Bertrand Leclair
Bertrand Leclair est romancier, essayiste et dramaturge. Il est l'auteur d'une douzaine de livres, de nombreuses fictions radiophoniques et d'une pièce de théâtre mêlant le fiançais et la langue des signes, Héritages, créée à Paris en 2011 et en tournée depuis. Après avoir joué avec les codes du roman historique (Une guerre sans fin, 2008), du roman noir (L'invraisemblable histoire de Georges Pessant, 2010) et du récit érotique (L'amant Liesse, 2007), il prend cette fois à contre-pied les conventions du roman familial, ou roman intimiste. Derniers titres parus : Petit éloge de la paternité (Folio, 2010) et Dans les rouleaux du temps (Flammarion, 2011).
« Malentendus »
Lui-même père d’un enfant sourd, le narrateur de Malentendus mène l’enquête sur une tragédie familiale prise dans les rets de la grande histoire, celle des sourds, otages d’une bataille séculaire entre partisans de la langue des signes et partisans de l’oralisme. Mêlant l’intime et le collectif, Malentendus parvient à faire de la surdité d’un enfant le puissant révélateur des mécanismes d’ordinaire invisibles du roman familial, de ses ambivalences inconscientes et de ses non-dits dévastateurs.
«Voilà dix-huit ans que je suis tombé en surdité. Ma fille avait un an ; avant même d’y penser je me suis entendu dire à sa mère : Parfois, je me demande si elle entend. Ma fille, sourde ? Ça alors ! Je n’y avais jamais songé. Quelle révolution dans mes représentations du monde et du père que j’étais, dans mon rapport à la langue et à sa transmission !
Voilà dix-huit ans, du même coup, que j’ai découvert l’histoire des sourds, une histoire étrangement méconnue qui est devenue tragique au tournant des XIXe et XXe siècles. Les sourds, cela fait des siècles qu’on s’échine à les réparer, les assimiler, les rendre normaux, mais s’ils se mettent à dire ce qu’ils en pensent, eux, alors c’est simple : on ne veut pas le savoir. On veut les faire parler, surtout pas les entendre. J’ai longtemps tourné autour du sujet, qui hante de manière secrète tous mes livres. En 2008, travaillant avec les comédiens sourds de l’International Visual Theatre, à Paris, j’ai été rattrapé par l’histoire exemplaire de Julien Laporte et de son long combat contre un père qui avait précisément voulu le réparer, pour son bien. Au-delà de la pièce de théâtre que nous en avons tiré, Héritages, j’ai voulu comprendre, cette fois, raconter, déplier l’histoire, malgré la difficulté de mener l’enquête : l’univers de la surdité reste aujourd’hui encore un champ de bataille terrifiant entre tenants de l’éducation oraliste et tenants de la langue des signes.
Malentendus est le résultat de cette enquête. Pourtant, il s’agit avant tout d’un roman familial. Il raconte l’histoire de la famille Laporte dévastée, non pas par la surdité, mais par les malentendus les plus ordinaires entre parents et enfants, par l’incapacité des premiers à aimer les seconds tels qu’ils sont, et non pas tels que leur amour-propre voudrait qu’ils soient. La surdité, dès lors, devient le révélateur du roman familial, de notre difficulté si commune à transmettre, avec la vie qui demande à l’être, l’amour qui seul justifie qu’on la transmette.
Qu’est-ce qu’être parent d’un enfant sourd ? Cette question initiale en cachait une autre, en somme, nettement plus banale, mais bien plus vertigineuse : qu’est-ce qu’être père, ici et maintenant ?»
Bertrand Leclair