vendredi 5 mai 2017
« La vie est faite de ces toutes petites choses »
Christine Montalbetti
éditions P.O.L.
Christine Montalbetti
Je suis née au Havre, où je n’ai jamais vécu. C’était l’été, mon père faisait son service militaire, mes grands-parents maternels habitaient là. Depuis j’y ai très peu porté mes pas, mais j’aime l’idée d’être née dans une ville portuaire.
Je viens parfois écrire à Trouville, et mon attachement pour cette petite ville tient peut-être aussi au fait qu’on y aperçoit depuis la plage ma ville natale, ses deux cheminées souvent coupées par la brume et qui m’ont un petit air de Fuji-Yama, toujours fourré dans un coin de l’estampe.
Depuis peu j’écris aussi pour le théâtre - cette manière très excitante dont le texte alors est tourné vers quelque chose à venir, vers les inflexions des voix, vers l’énergie du plateau, vers la fête de l’incarnation.
Mais pour l’essentiel j’écris des romans, qui prennent leur temps, j’aime le luxe de la phrase longue, le confort de ses arabesques, et le loisir des digressions, qu’écrire soit musarder, filer la rêverie. Je m’attache à aux émotions nombreuses et contradictoires qui peuvent innerver un tout petit instant, je les considère en macroscopie, je leur laisse toute la place, et à d’autres petites choses encore, des objets, des insectes, dont j’invente les épopées.
Je m’adresse beaucoup à mon lecteur, parce que je crois profondément qu’écrire, c’est aussi écrire votre histoire à vous. La mienne à la vôtre tressée, ce en quoi elles se rencontrent. Là où, laissant résonner les instants de notre expérience, nous pouvons, peut-être, nous entendre.
La vie est faite de ces toutes petites choses
Éditions P.O.L.
Ils sont quatre — ils sont « les quatre de la mission finale ». Deux femmes et deux hommes, guère différents de vous et moi, à ceci près cependant qu'en ce jour de juillet 2011 où, à l'invitation de Christine Montalbetti, on fait leur connaissance, au Kennedy Space Center de Merritt Island, en Floride, ils sont à la veille de quitter la Terre. A bord de la navette Atlantis, direction la Station spatiale internationale — pas si loin, en fait, « en vérité, imaginez à peu près un Paris-Rennes, si ça ne démythifie pas trop le voyage spatial »...
Il s'avère qu'en impesanteur, comme sur la Terre, la vie est faite de toutes petites choses, parfois très techniques, parfois très prosaïques, et c'est ce que s'emploie à exposer Christine Montalbetti dans ce roman-documentaire archi-informé où tout est non seulement vrai, mais regardé de très près, comme à la loupe électronique. « Vertigineusement exact », analyse l'auteure, expliquant son projet en cours de route, qu'il s'agisse de « la couleur du tapis de bain de la chambre du quartier des astronautes [...], l'enrouleur rose de la laisse du petit chien blanc qui circule entre les jambes des spectateurs du lancement », ou des mille et une actions quotidiennes de Sandra Magnus, Christopher Ferguson, alias Fergie, Douglas G. Hurley et Rex J. Walheim, nos quatre héros en orbite dans la thermosphère, dont nous serons bientôt assez familiers pour les appeler par leurs seuls prénoms.
Cet hyperréalisme a la double vertu de générer un effet captivant, presque hypnotique, et de dessiller le regard, d'en quelque sorte le nettoyer, en offrant de la réalité (des corps, des matières, des objets, des gestes...) une vision atypique, insolite. Christine Montalbetti ne se prive pas d'y mêler une piquante légèreté de ton — qui n'est pas sans suggérer l'aisance et la fluidité qui vont avec l'état d'apesanteur —, une vraie fantaisie, de l'humour, ainsi qu'une sorte de mélancolie rêveuse qu'elle laissera joliment éclore dans le chapitre final de cette singulière épopée, tout sauf claustrophobique.
Nathalie Crom