vendredi 15 mai 2020
« Un monde sans rivage »
Hélène Gaudy
éditions Actes Sud
Hélène Gaudy
Née en 1979 à Paris, Hélène Gaudy a étudié à l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg. Auteur de divers articles et nouvelles parus dans des ouvrages collectifs ou des revues, elle a également publié des ouvrages pour la jeunesse et des livres d’art. Elle est membre du collectif Inculte et vit à Paris.
Dans ses romans, Hélène Gaudy met en place des lieux incertains. Elle s’intéresse aux moments de basculement, aux infimes décalages, quand l’environnement et ses habitants deviennent étranges. Plein hiver (2014) met en scène une ville inventée mais qui paraît très réelle, Lisbon, quand Une île, une forteresse 2016) creuse la mémoire de la cité de Terezin, bien réelle mais qui semble inventée de toutes pièces.
« Ausculter des lieux, réels ou imaginaires. Faire entendre des voix. Évoquer le rapport fantomatique qu'entretiennent les vivants et les morts, les images et les mots, constitue le singulier projet littéraire d'Hélène Gaudy»
Hélène Gaudy est membre des comités de rédaction des revues Inculte, depuis 2006 et La moitié du fourbi, depuis 2015.
Elle est notamment l'auteure de : Vues sur la mer (2006, 2e sélection du prix Médicis), Si rien ne bouge (Le Rouergue, 2009) et Plein hiver (Actes Sud, 2014), Une île, une forteresse (Inculte, 2016) et Grands Lieux (Joca Seria, 2017).
Hélène Gaudy est venu au "Café littéraire" le 27 Février 2015 pour "Plein hiver"
« Un monde sans rivage »
À l’été 1930, sur l’île Blanche, la plus reculée de l’archipel du Svalbard, une exceptionnelle fonte des glaces dévoile des corps et les restes d’un campement de fortune. Ainsi se résout un mystère en suspens depuis trente-trois ans : en 1897, Salomon August Andrée, Knut Frænkel et Nils Strindberg s’élevaient dans les airs, déterminés à atteindre le pôle Nord en ballon – et disparaissaient. Parmi les vestiges, on exhume des rouleaux de pellicule abîmés qui vont miraculeusement devenir des images.
À partir de ces photographies au noir et blanc lunaire et du journal de bord de l’expédition, Hélène Gaudy imagine la grande aventure d’un envol et d’une errance. Ces trois hommes seuls sur la banquise, très moyennement préparés, ballottés par un paysage mobile, tenaillés jusqu’à l’absurde par la joie de la découverte et l’ambition de la postérité, incarnent l’insatiable curiosité humaine qui pousse à parcourir, décrire, circonscrire et finalement rétrécir le monde. Livre d’une richesse inépuisable, aussi poétique que passionnant, Un monde sans rivage propose un voyage opiniâtre dans les étendues blanches du Grand Nord, un périple à travers le temps en compagnie de ces trois explorateurs et de bien d’autres intrépides, une méditation sur l’effacement et une déclaration d’amour à la photographie dans ses deux mouvements d’aval et d’amont : fixer les souvenirs et réactiver perpétuellement la machine à rêves.
“Le premier désir est venu d’une série d’images retrouvées sur l’île la plus proche du pôle Nord : trois explorateurs littéralement tombés du ciel dérivent avec la banquise. À travers l’épaisseur du temps, ils nous dévisagent. Si toute photographie est l’empreinte d’un corps traversé par la lumière, celles-ci, qui ont si longtemps séjourné dans la glace, sont aussi la trace directe, physique, d’un paysage. Elles me happent par leur présence spectrale, leurs zones d’ombre qui sont déjà le début d’un roman.
Quelque chose semble me relier à ces explorateurs de la fin du xixe siècle, en quête d’un Nord magnétique et fragile, dont je ne distingue encore que les silhouettes mangées par la lumière. Il faut creuser à travers le minimum visible, faire de l’écriture un révélateur pour dévoiler peu à peu leurs visages, leurs espoirs, leurs amours et leurs mensonges, leur curiosité insatiable et leur amateurisme héroïque jusqu’à la poésie, il faut chercher les sensations communes, partager ce qui les maintient en vie, en faire des compagnons – peu à peu, des personnages. Du soleil de minuit à la complète nuit polaire, tenter d’éclairer l’énigme de leur disparition.
En suivant leur marche sur la glace, on croise d’autres tentatives d’élargir le monde au risque de se faire avaler par ses marges. Leur parcours devient une ligne de faille dont partent des embranchements multiples, qui finiront par me mener jusqu’à l’archipel du Svalbard, au seuil de ce Grand Nord qui, lui aussi, s’évanouit.
Certaines histoires poussent à partir loin avant de revenir au plus proche, au plus intime. Les traces de ces trois hommes réveillent peu à peu le manque de ceux qui partent et des lieux dont on rêve, le souvenir d’un temps où l’on croyait encore à la nécessité de l’aventure et à la permanence des paysages. Et la fascination se mue en écriture, et l’image entraîne le roman"
Hélène Gaudy